Femmes de transmission

Quel rôle ont joué les femmes dans la transmission de la culture bretonne ? Dans cet épisode, Anaëlle Abasq découvre des championnes de la mémoire, des collectrices, des chanteuses de mère en fille, qui ont permis aux histoires et aux mélodies de traverser les siècles. Elle se demande d’ailleurs si les femmes n’auraient pas joué un rôle particulier dans la grande chaîne de la mémoire… En remontant le fil des traditions orales, on les trouve partout, porteuses de récits de vie et de fragments du quotidien, piliers de la culture populaire.

Aujourd’hui encore, des femmes engagées mènent ce travail de transmission. Par leurs recherches, leurs actions, leurs spectacles, elles tiennent à faire connaître au plus grand nombre les figures du passé qui les inspirent.

1 – Informatrices et collectrices, les maillons de la mémoire
2 – Sept générations de tradition orale
3 – Marthe Vassallo chante Maryvonne La Grande
4 -Les contributrices oubliées du Barzaz Breiz
5 – Histoire du féminisme à Rennes, la transmission militante

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Notices biographiques

Marguerite Philippe, dite Marc’harit Fulup (1837 – 1909, Pluzunet) : chanteuse et conteuse du pays du Trégor, appelée la “cigale bretonne”. Née dans un milieu très modeste, elle souffre d’un handicap qui l’empêche de travailler aux champs; devenue “pèlerine par procuration”, elle se déplace à la place des malades à travers la Bretagne, mémorisant les nouveaux chants et contes entendus lors de ses déplacements. À la fin de sa vie, elle connaît ainsi plus de 150 contes et 300 chansons. Fascinée par cette “Kannerez koz”, une mécène américaine, Ange M. Mosher, refuse qu’elle tombe dans l’oubli et lui fait construire une tombe en 1910.

Claudine Mazéas (1926, Guingamp – 2018, Pabu) : collectrice et promotrice de la culture bretonne. Elle découvre le travail de collectage de chants à la fin des années 50 et entame une collaboration avec le centre de recherche en ethnologie musicale de l’université de Rennes. Le Musée de l’homme s’associe à ses recherches, qui là mènent sur l’Île de Batz, en Haute Cornouaille, en Trégor. En parallèle de cette activité, elle élabore des disques sur la Bretagne. Portée par cette volonté de diffuser les chants bretons, elle influence Alan Stivell, Denez Prigent, Yann-Fañch Kemener, alors jeunes chanteurs.

Angelina Duplessix (1857 – 1909, Rennes) : collectrice de contes et chansons de Basse Bretagne, membre de la haute bourgeoisie rennaise. Elle laisse, sous le pseudonyme d’A.-D. Roazoun, un petit ouvrage contenant vingt grands contes, ainsi qu’un cahier manuscrit contenant les textes et partitions de 120 chansons de tradition orale. L’originalité de son travail de collectage tient à ses sources, toutes des femmes de sa famille et toutes des représentantes de la haute bourgeoisie. Certains de ces chants et contes collectés sont parvenus jusqu’à l’arrière-petite-fille d’Angelina Duplessix, attestant d’une transmission orale s’étalant sur au moins sept générations de femmes !

Marthe Vassallo : chanteuse et compositrice costarmoricaine, considérée comme l’une des grandes voix de la musique bretonne actuelle. Née en 1974, Marthe Vassallo commence à chanter dans les festoù-noz à l’adolescence. Elle se forme à l’art dramatique, puis apprend au contact de chanteurs et chanteuses et par l’étude de collectages. D’abord comédienne et présentatrice télé, elle se consacre entièrement au chant à partir de 1997. Elle se produit tantôt seule, a capella, tantôt entourée d’autres artistes, et passe aisément de la chanson traditionnelle à la musique classique.

Maryvonne Le Flem, dite Marivon Vraz ou Maryvonne la Grande (1841-1926) : aide-maçon, goémonière, couturière, “dynamiteuse” de rochers, la Costarmoricaine Maryvonne Le Flem eut une vie de dur labeur dans le village de Crec’h Morvan. Mère célibataire puis femme de pêcheur d’Islande, elle adorait chanter et raconter des histoires. Sa route croise celle d’Anatole Le Braz, qui l’interroge pour sa Légende de la mort et la présente au musicien Maurice Duhamel. Ce dernier recueille auprès d’elle des dizaines de chants et prend en note ce qu’elle lui raconte de sa vie et de celle de ses contemporain·es.

Marie-Ursule de Feydeau de Vaugien, dite Comtesse de la Villemarqué (1776-1847, Quimperlé) : collectrice de chants populaires bretons, contributrice au travail de collectage réalisé par son fils, Théodore Hersart de la Villemarqué, auteur du Barzaz Breiz. Surnommée “La bonne dame de Nizon”, la comtesse se plaît à recueillir d’anciennes chansons de chanteurs ambulants et autres pauvres gens qu’elle accueille dans son manoir du Plessis, dans les environs de Pont-Aven. Elle les note dans des cahiers qu’elle remet ensuite à son fils, éveillant ainsi son intérêt pour le collectage.

Émilie-Barbe-Marie Guitton, dite Madame de Saint-Prix (1789, Callac – 1905, Morlaix) : collectrice de chants populaires bretons, contributrice très discrète au Barzaz Breiz qui refuse que son nom soit cité dans ce recueil.

Louise Bodin (1877, Paris – 1929, Rennes) : journaliste et militante pacifiste, féministe et communiste. Son mariage avec un médecin la conduit à Rennes, où elle mène une vie bourgeoise bien rangée jusqu’à la Première Guerre mondiale, qui lui fera prendre de nombreux engagements politiques. Farouchement pacifiste, elle devient rédactrice en chef du journal féministe La Voix des femmes en 1917. Ses positions évoluent en une décennie d’un féminisme bourgeois, réformiste, à un féminisme radical, favorable à la contraception et l’avortement. Désignée secrétaire de la fédération communiste d’Ille-et-Vilaine en 1921, elle intègre aussi le comité directeur du PCF, avec lequel elle rompra en 1927, à la fin de sa vie, en fidélité à Trotsky. Durant sa carrière de journaliste, elle a écrit plus de 500 articles, publiés entre autres dans L’Humanité. Sans le travail de Colette Cosnier dans les années 1980, Louise Bodin serait totalement tombée dans l’oubli.

Colette Cosnier (1936, La Flèche – 2016, Rennes) : universitaire et écrivaine spécialiste de l’histoire des femmes. Elle enseigne la littérature comparée à l’université Rennes 2 entre 1973 et 1995, axant ses cours de façon inédite sur les femmes et la littérature. En parallèle, une grande partie de son activité d’écrivaine consiste à mettre en lumière des femmes dont l’histoire a été ignorée ou déformée. Elle écrit ainsi la biographie de l’artiste Marie Bashkirtseff, de la militante féministe rennaise Louise Bodin, de la pédagogue Marie Pape-Carpantier et de l’alpiniste Henriette d’Angeville. Dans ses essais, elle interroge la place des femmes (et notamment des créatrices) dans la société du 19è siècle et du début 20è siècle.